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La Vidéothèque s'expose.

                                               Patrick Renaud


 

La Vie matérielle.

                                      Samy da Silva

Fondée par Chloé Dragna « La Vidéothèque » a présenté ce dernier week-end plus de trente œuvres vidéos, témoignage de l’extraordinaire vitalité qui parcourt ce domaine. Par nature ce type d’exposition permet de faire apparaître les tendances dans ce médium. Une tendance « photographique » avec l’animation d’images fixes, du sténopé aux photogrammes. Une « cinématographique » proche parfois de la fiction ou « documentaire » tout en questionnant le support film, ses altérations, ses origines et dont le support numérique favorisent des interventions plus ou moins complexes. Enfin l’image numérique avec sa temporalité, vidéo en temps réel, spécificités du montage, travail sonore qui tisse une continuité dans des fragments d’images. « L’image vidéo a su, elle aussi, se faire le lieu d’une hétérogenèse, d’une tension entre divers régimes d’expression ». (1)

 

Au de-là de l’intérêt vers chaque œuvre sélectionnée, il se dégage de l’ensemble un regard qui évite l’éclectisme pour se positionner en véritable trame sur les mouvements qui traversent la vidéo, une fluidité revendiquée à l’intérieur des œuvres se déploie vers d’autres possibilités, d’autres formes. Le désarroi institutionnel et, marchand face à ce bouillonnement artistique, n’est pas seulement imputable aux lois du marché mais à la particularité du médium, sa façon d’être conçu et approprié par les artistes, son déplacement transversal. C’est un flux difficilement contrôlable. À cela, se superpose en amont une culture encore verticale de l’idée beaux-arts. Ces résistances nous aident à comprendre qu’une vidéo ne se voit pas comme un film, ni un spectacle, elle sollicite un autre regard, d’autres dispositions du spectateur (parfois aussi des dispositifs interactifs). La photographie a rencontré la même méfiance esthétique, et marchande avant de devenir incontournable, elle fut aussi un lieu de contradiction dans ses propositions. Subtile dialectique entre l’artiste qui propose et le spectateur qui reçoit…

 

« On décrit souvent la rupture esthétique moderne comme le passage du régime de la représentation à un régime de la présence ou de la présentation. Cette vision a donné lieu à deux grandes visions de la modernité artistique : il y a le modèle heureux de l’autonomie de l’art où l’idée artistique se traduit en formes matérielles, en court-circuitant la médiation de l’image ; et il y a le modèle tragique du « sublime » ou la présence sensible manifeste, à l’inverse, l’absence de tout rapport commensurable entre idée et matérialité sensible. Or nos exemples permettent de concevoir une troisième manière de penser la rupture esthétique : celle-ci n’est pas la suppression de l’image dans la présence directe, mais son émancipation par rapport à la logique unificatrice de l’action ; elle n’est pas la rupture du rapport de l’intelligible au sensible mais un nouveau statut de la figure ».(2)


Patrick  Renaud

 


(1 et 2) Le spectateur émancipé. J. Rancière

Je me souviens de nuits courtes, pleines de plis et traversées d’ombres, de reflets et d’échos, pour un regardant dans l’archive-surface globale, la quiétude de la vigie contrastant le jeu dactyle et les tremblements optiques, explorant des écrans d’auteurs, au gré des courants magnétiques de suites visuelles, cherchant des croisements verticaux et liaisons obliques dans le tissage des images publiques.

Puis, au printemps 2010, un lieu-delta suscite un passage dans le réseau-plan, des billets
apparaissent citant une oeuvre, un auteur, un lien vers La Vidéothèque, où page après page s’instille un climat, un lieu favorable à la “vie matérielle”, territoire et ressource, lui-même évoquant un regard, une attention portés par Chloé Dragna.

Pour ce regardant et depuis cette rencontre, la géographie du plan-surface pulse autrement, dans la Vidéothèque chaque clic est singularité, le signal lisse, souvent clos sur lui-même, est membrane, passage, vers la matière mémoire de l’image et ses déploiements dans le présent multiple et ouvert.

Certaines oeuvres trouvent un biotope spécifique, d’autres pas, certaines en pleine agrégation et d’autres en expansion. Où demeurent-elles sinon dans un “trouble dans le genre”, une hésitation du registre: expérimental?, vidéo?. C’est précisément la brèche ouverte par cette perméabilité qui fait un monde de La Vidéothèque, qui brouille lesnotions programmatiques qui nous tiennent à distance de ces images, d’autant plus que leur gratuité n’est en rien une perte de vertu, ici ce sont des codes publics qui se perpétuentant un projet de mise en commun, un territoire ouvert soutenu par des ressources aussi morales que tangibles.

La Vidéothèque est autant une émergence topographique du réseau qu’un appel au regardant: ce n’est pas le lieu d’une appropriation, d’une encapsulation instrumentale, mais un engagement personnel vers ce qui est commun et intime à la fois. Le travail de fond, cette prise de position par Chloé Dragna, s’incarne autant dans le “donné à voir”, que le “donné à vivre”-avec la matière lucide du projet comme ses causes et ses effets, ses questions: “comment les impressions fugitives que sont l’ombre, le reflet, l’écho peuvent-elles, tout en constituant des outils matérialistes, être le théâtre de révélations ontologiques (?)…” (*)

Enfin, pour ce regardant, dans les scrupules du voir, ces mots de Marguerite Duras portent plus qu’une estime pour le projet de La Vidéothèque, dune fraternité: “Ce livre n’a ni commencement ni fin. Il n’a pas de milieu. Du moment qu’il n’y a pas de livre sans raison d’être, ce livre n’en est pas un, Il n’est pas un journal, il n’est pas du journalisme, il est dégagé de l’événement quotidien. Disons qu’il est un livre de lecture. Loin du roman mais plus proche de son écriture .../... que celle de l’éditorial d’un quotidien. J’ai hésité à le publier mais aucune formation livresque prévue ou en cours n’aurait pu contenir cette écriture flottante de “La vie matérielle”, ces aller-et-retour entre moi et moi, entre vous et moi dans ce temps qui nous est commun. (°)

(*) Clément Rosset, in “Impressions fugitives - L’ombre, le reflet, l’écho”, Éditions de Minuit, coll. Paradoxe, 2004
(°) in préface à “La vie matérielle”, POL, 1987

samy da silva pour La Vidéothèque,
Chloé Dragna
avril 2011

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