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Comment le paysage est-il entré dans vos images ? Etait-il dès le départ l'objet de votre travail, ou bien y êtes-vous venu par le prisme d'un autre sujet ?

 

J’avais pratiqué le dessin de paysage, peut-être par réceptivité aux impressionnistes. Le paysage était une impression globale, une totalité déposée sur la terre que je pouvais à mon tour déposer sur le papier. Le paysage n’avait pas de limites, juste des lointains, c’est ce que je préférais, jusqu’où mon regard pouvait aller, dessiner l’horizon de manière imprécise sachant qu’ensuite derrière cette ligne ça continuait. Plus tard, j’ai commencé à photographier peut-être plus la campagne que le paysage, pour les lumières, les atmosphères. Avec l’appareil photo il fallait s’occuper du cadre c’est à dire exclure pour voir ce qui reste. J’étais assez désorienté et pas très doué.

 

 

Vous pratiquez la photographie à la chambre. Vous cosignez certains travaux vidéos et sténopés sur Polaroids avec Marie Combes. Quels paysages appellent l'un ou l'autre et pourquoi ? Certains paysages sont-ils pensés en mouvement et d'autres figés ? Certains paysages s'imposent-ils en couleur ou noir et blanc ?

 

Vous avez raison, ce sont les paysages qui demandent. J’ai utilisé la chambre pour m’éloigner de la spontanéité du 24x36. De cette culture de « l’instant décisif » qui m’avait formé. C’est assez paradoxal car je travaillais dans les sous-bois sur le « fouillis » végétal. Utiliser une chambre photographique demande un peu de recueillement, anticiper sa place, le cadrage, des manipulations etc. Elle ne facilite pas les déplacements. Autour de moi j’entendais les sons, je percevais les frémissements de la nature, l’urgence du vivant. Je sentais que tout ce monde végétal, animal et moi nous étions à nos occupations mais pas dans la même temporalité. N’étant pas coloriste, quand je pense image, c’est en noir et blanc. Mais cela dépend comment la photo est envisagée. Le noir et blanc propose une dissemblance peut-être plus fertile à l’imaginaire, plus intemporelle. Alors que la couleur ajoute d’autres codes. En 2007 avec Marie Combes nous souhaitions explorer le médium photographique, plus peut-être que l’image... Nous avons travaillé avec la chambre en sténopé et sur Polaroïds. C’était très curieux là encore avec ces questions de distance (comme lorsqu’on voit un paysage derrière un pare brise, on s’arrête, on sort et l’impression visuelle a disparu). La spécificité du sténopé ne permet pas d’organiser les nappes de l’image ni de savoir quelles couleurs nous allions obtenir avec un temps de pose aléatoire, notre position par rapport au soleil et la chimie des Polaroïds. Mais surtout c’est le temps de pose, de dix secondes à quelques minutes pour obtenir une photographie qui nous a troublé, de le vivre physiquement, de savoir que pendant ce temps une image se constituait presque sans notre intervention. C’est vraiment intrinsèque à la photographie de signifier du temps au delà de ce qui est montré. 

 

 

Votre travail sur le paysage appelle une certaine réflexion sur le temps. Dans vos sténopés et vos vidéos c'est un déploiement du paysage. PourMontromant, vous avez filmé pendant plus de 3 heures les changements de lumières infimes. Quelle expérience du temps, vous donne à voir un paysage ?

 

C’est très complexe la façon de regarder un paysage. L’œil va chercher au loin, puis s’attarde sur des zones, s’éloigne à nouveau, flotte sur des éléments. C’est ce mouvement entre l’œil et le cerveau qui dans ces écarts permet de constituer un paysage. Après l’expérience des sténopés, nous souhaitions avec Marie voir le rapport entre le temps et la durée. Techniquement « Montromant » est une séquence photographique de trois heures, durant laquelle nous prenions une photo à intervalles irréguliers. Ces images numériques montées en fondus enchaînés, donnent une projection du paysage qui dure treize minutes ou les variations de lumières ont une durée « crédible » pour l’œil alors que le temps a été compressé. Dans le fondu enchaîné c’est apparition/disparition, l’effacement d’une image pour la suivante. Effectivement c’est une façon pour le paysage de sortir de ses plis par proximité avec la contemplation, être et ne plus être là.

 

 

Vos travaux récents portent sur les sols. Paysages & sols sont très liés. Comment ce passage s'est-il fait ? Quelle matière y trouvez-vous ? Quelle mémoire du paysage s'inscrit dans les sols ?

 

Il paraît que dans une image il y a souvent la suivante, et je crois qu’au-delà du sujet comme prétexte, le rôle de l’artiste et de faire apparaître quelque chose qu’il ignore qui appartient au médium, aux formes, aux lumières. La série sur les sols en noir et blanc évacue le lointain pour tenter de trouver du paysage à une autre échelle et distance. Là aussi je travaille en diptyque peut-être pour sentir qu’il ne s’agit que de fragments, que l’ensemble est faux avec ses deux perspectives. Parfois il y a un « mauvais raccord », c’est à dire une répétition d’une partie de la photo à l’autre, deux détails identiques et pourtant dans un autre moment quelques secondes avant ou après. C’est très précieux ces accidents, ces choses qui arrivent par hasard. Il y a eu aussi l’apparition d’une certaine frontalité, avec l’image. J’ai tenté de développer cela en photographiant les sols vus de dessus. Mais ça ne fonctionnait pas en noir et blanc, j’ai donc travaillé en couleur par défaut, et pour la première fois peut-être je cherchais les couleurs. Les sols sont la mémoire vivante des lieux. Ils sont dépositaires du temps, de nos activités, de traces, ils bougent se déforment, de nouveaux sédiments se déposent. Une machine vient les retourner, plaquer une couche de bitume, des choses ont disparu, on a oublié, à nouveaux ça recommence. Les sols sont comme une pellicule qui enregistre en permanence les empreintes, les changements de lumière.

 

 

Vous vous êtes intéressé à la notion de ruines dans le paysage. Notamment dans les paysages ruraux. D'où vient cet intérêt ? Est-ce là aussi votre intérêt pour le temps qui se déploie ?

 

J’aurai beaucoup de mal à répondre. Ce projet avec Marie était trop ambitieux pour nous. Nous pensions tenir un sujet qui irait plus loin que le « Ruinisme » de mode avec cette esthétisation de la ruine industrielle. Nous avions ce texte magnifique, émouvant de Diderot sur ses sentiments que lui évoquent les ruines. Voilà, un ratage complet. Je pense que nous n’avons pas laissé assez de hasard, d’ouvertures, de vouloir maîtriser, de vouloir aussi illustrer le texte et voilà, trop de « vouloir ».

 

 

Pour finir, j'aimerai qu'on aborde la question du contemporain dans le paysage. Vous connaissez la citation suivante d'Agamben « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau des ténèbres qui provient de son temps. » Quel contemporain voyez- vous dans les paysages que vous photographiez ou filmez ?

 

La création vidéo est je crois actuellement plus exploratrice, moins embarrassée des contraintes du marché de l’art que la photographie. Elle crée un langage différent du cinéma, notamment avec le temps. Avec son espace aussi qui apparaît moins à l’intérieur du cadre mais déborde de l’écran. Une caméra vidéo ça s’installe n’importe où et quand elle est placée sur le corps, elle en devient le prolongement. Là c’est passionnant car cela modifie la vision du spectateur et sa temporalité. Il n’est plus assigné à cette place installée avec la perspective depuis la Renaissance. Il me semble qu’être contemporain ce n’est pas photographier ou filmer notre présent c’est voir les liens entre présent et passé, être une transition, devenir un pont mais un pont qui se ferait et déferait en même temps sans savoir où est l’autre rive.

 

 

 

// combesrenaud.com

 

 

Entretien réalisé le 26.03.2014

par Chloé Dragna.

Entretien avec Patrick Renaud :
photographies & vidéos.
 
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